L’automobile européenne vit une période charnière. Entre la pression des normes environnementales, la concurrence féroce de la Chine et la guerre commerciale avec les États-Unis, les constructeurs du Vieux Continent se retrouvent pris en étau. L’annonce d’une moratoire en mars dernier, assouplissant temporairement le suivi annuel des objectifs de réduction des émissions, avait apporté un court répit. Mais l’horizon 2035, date prévue pour la fin des ventes de moteurs thermiques, continue de faire planer une lourde menace.
À l’approche du salon de Munich, plusieurs voix influentes de l’industrie ont choisi de hausser le ton. En première ligne, Ola Källenius, PDG de Mercedes-Benz et président de l’ACEA, qui alerte sur un risque de « collision contre un mur » si l’Europe maintient un calendrier jugé irréaliste. Dans une lettre ouverte adressée à Ursula von der Leyen, il plaide pour un ajustement de la trajectoire, rappelant que l’objectif de zéro émission nette en 2050 reste partagé, mais que les moyens pour y parvenir doivent évoluer.
Le message des constructeurs est clair : l’électrique doit rester le fer de lance de la transition, mais il ne peut pas être l’unique solution. Hybrides, prolongateurs d’autonomie, hydrogène et carburants décarbonés doivent également trouver leur place pour accompagner un secteur en mutation. Faute d’un compromis, l’Europe risque non seulement de fragiliser son industrie automobile, mais aussi de laisser un boulevard à ses concurrents internationaux.
Une industrie européenne sous pression
L’automobile européenne traverse l’une des phases les plus complexes de son histoire. Depuis plusieurs mois, les constructeurs doivent composer avec une double pression extérieure : d’un côté, la concurrence féroce de la Chine, qui inonde le marché de véhicules électriques à prix compétitifs ; de l’autre, les barrières commerciales américaines qui compliquent leurs exportations. Dans ce contexte tendu, les objectifs climatiques fixés par Bruxelles paraissent de plus en plus difficiles à atteindre.
En mars 2025, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avait déjà annoncé une moratoire partiel : les objectifs de réduction des émissions ne seraient plus contrôlés annuellement mais par périodes de trois ans. Une mesure d’assouplissement qui avait apporté un court soulagement à l’industrie. Pourtant, à l’approche de l’International Motor Show de Munich, les constructeurs allemands ont choisi d’élever la voix : la ligne fixée par Bruxelles pour 2035 est, selon eux, intenable.
L’alerte d’Ola Källenius et de l’ACEA
Le plus critique a été Ola Källenius, PDG de Mercedes-Benz et président de l’ACEA (Association des Constructeurs Européens d’Automobiles). Dans une série de déclarations relayées par la presse allemande, il a averti que l’Europe risquait de « se heurter à un mur » avec ses objectifs d’électrification, évoquant même un possible « effondrement » de certaines filières.
Quelques jours plus tard, Källenius a adressé une lettre ouverte à Ursula von der Leyen, cosignée par Matthias Zink, président de l’Association européenne des fournisseurs automobiles. Leur constat est sans appel : atteindre 0 g/km de CO₂ en 2035 n’est plus réaliste. Selon eux, le contexte économique, technologique et social a profondément changé depuis l’adoption de cette feuille de route en 2023. Ils appellent désormais à un nouveau calendrier, qui doit être discuté lors de la réunion stratégique du 12 septembre.
Les hybrides et alternatives comme solution intermédiaire
Plutôt que de miser exclusivement sur le 100 % électrique, les industriels réclament une approche plus « multi-énergies ». Selon eux, les véhicules électriques resteront la colonne vertébrale de la transition, mais ils doivent être complétés par d’autres solutions.
L’ACEA met ainsi en avant le rôle des hybrides et hybrides rechargeables, mais aussi des prolongateurs d’autonomie, des moteurs thermiques à haut rendement, de l’hydrogène et des carburants décarbonés. Tous ces leviers permettraient d’accélérer la réduction des émissions sans fragiliser les entreprises et les emplois.
Le discours est pragmatique : plutôt qu’une révolution brutale qui risquerait de faire disparaître certains modèles et gammes entières, il s’agit de construire une transition progressive, plus réaliste et plus soutenable.
Des objectifs européens jugés irréalistes
L’un des points de crispation concerne la rigueur des objectifs chiffrés. D’ici 2025-2029, les constructeurs devront réduire les émissions moyennes de leurs flottes de 15 % par rapport à 2021-2024, soit atteindre 93,6 g/km de CO₂. Et entre 2030 et 2034, la cible sera encore plus exigeante, avec 49,5 g/km.
Ces contraintes pourraient forcer certains constructeurs à supprimer des modèles thermiques rentables uniquement pour respecter les moyennes d’émissions. Un scénario qui fragiliserait leur rentabilité et leur compétitivité mondiale. D’autres marques, déjà très avancées sur l’électrification, assurent être en mesure d’honorer ces objectifs, mais au prix d’investissements colossaux qui pèsent lourd sur leur bilan financier.
Cette disparité illustre le fossé entre constructeurs, certains misant tout sur l’électrique, d’autres appelant à une transition plus diversifiée.
Une ambition climatique maintenue pour 2050
Malgré leurs critiques, les industriels européens ne rejettent pas les objectifs de long terme. Tous réaffirment leur volonté de parvenir à la neutralité carbone en 2050, conformément aux engagements européens. Leur message ne porte pas sur la finalité, mais sur le rythme.
Ils appellent à un ajustement pragmatique du calendrier afin d’éviter une désindustrialisation massive et un décrochage face à la concurrence asiatique et américaine. En clair : mieux vaut avancer à un rythme soutenable que précipiter une transformation qui pourrait fragiliser tout un pan de l’économie européenne.
Le rendez-vous de septembre sera donc crucial. Si Bruxelles consent à revoir ses échéances, ce pourrait être le début d’une nouvelle étape de la transition, moins brutale mais peut-être plus réaliste.