La fin programmée des moteurs thermiques en Europe en 2035 n’en finit pas de faire débat. Présentée comme un tournant décisif pour atteindre la neutralité carbone, cette mesure doit interdire la vente de tout véhicule neuf émettant du CO₂. Un horizon clair sur le papier, mais qui suscite de plus en plus de réserves dans les rangs des industriels.
Dernier à hausser le ton, Ola Källenius, PDG de Mercedes-Benz et président de l’Association européenne des constructeurs automobiles (ACEA). Dans un entretien accordé à la presse allemande, il met en garde contre un « risque de collision avec le mur » si l’Europe ne revoit pas sa copie. Loin d’un discours anti-électrique, son propos plaide pour une transition réaliste, tenant compte des capacités industrielles, des contraintes économiques et de l’acceptation des consommateurs.
La position du dirigeant n’est pas isolée. À l’heure où certains pays retirent leurs aides à l’achat d’un véhicule électrique et où la concurrence chinoise monte en puissance, la filière européenne cherche un équilibre : décarboner rapidement, oui, mais sans sacrifier sa compétitivité et son tissu industriel.
Un objectif européen ambitieux mais contesté
En 2022, l’Union européenne a acté un tournant majeur : interdire à partir de 2035 la vente de voitures neuves équipées de moteurs thermiques, qu’ils soient essence, diesel ou même hybrides. À cette date, seuls les modèles « zéro émission » — électriques ou à hydrogène — pourront être immatriculés. Cette mesure, présentée comme incontournable pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, sera réexaminée en 2025 pour confirmer ou assouplir le calendrier.
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Si plusieurs États et constructeurs y voient une opportunité de rattraper leur retard technologique sur l’électrique, d’autres alertent sur le risque d’une transition trop rapide, qui pourrait déstabiliser un secteur déjà fragilisé par la crise sanitaire, les tensions sur les matières premières et la concurrence asiatique.
L’avertissement d’Ola Källenius
Pour Ola Källenius, il ne s’agit pas de remettre en cause la décarbonation, mais de préserver la viabilité économique du marché européen. « Nous avons besoin d’une dose de réalité. Sinon, nous allons droit dans le mur », a-t-il déclaré au quotidien économique allemand Handelsblatt.
Selon lui, imposer un calendrier rigide sans tenir compte du rythme d’adoption par les consommateurs pourrait provoquer un « collapsus » du marché. En clair, un effondrement brutal des ventes de véhicules neufs, faute de modèles abordables et d’infrastructures suffisantes. En tant que président de l’ACEA, il porte aussi la voix d’autres constructeurs, inquiets des conséquences sociales et industrielles d’une telle bascule.
Plaidoyer pour une neutralité technologique
Le dirigeant plaide pour une approche « technologiquement neutre », autrement dit une transition qui laisse coexister plusieurs solutions : moteurs thermiques ultra-efficients, hybrides, hybrides rechargeables, électriques à batterie et hydrogène. L’objectif serait de permettre au consommateur de choisir la technologie la plus adaptée à ses besoins, tout en réduisant progressivement les émissions globales.
Källenius rappelle que certains modèles récents, comme le CLA micro-hybride doté d’un bloc essence avec hybridation légère 48 volts, affichent déjà des émissions nettement réduites. Pourtant, ce type de véhicule serait interdit à la vente après 2035 si la réglementation reste inchangée.
Freins économiques et technologiques à l’électrification
La position de Mercedes-Benz s’appuie aussi sur des constats chiffrés : le prix moyen d’un véhicule électrique reste élevé, les infrastructures de recharge sont encore inégalement réparties en Europe, et la suppression d’aides publiques — comme en Allemagne fin 2023 — ralentit la demande.
Källenius insiste également sur le coût de l’électricité en station publique, parfois dissuasif, et sur la nécessité d’incitations fiscales pour accompagner la transition. Sans soutien et sans baisse significative des prix des véhicules, l’électrique risque de rester hors de portée d’une grande partie des automobilistes.
Mercedes entre ambition électrique et réalisme commercial
La firme à l’étoile investit massivement dans l’électromobilité. Son futur CLA électrique promet près de 800 km d’autonomie pour un tarif autour de 55 000 €, soit presque autant que la limousine EQS pour un prix bien inférieur. Mais Mercedes sait aussi que le marché ne basculera pas du jour au lendemain : le CLA sera également proposé en versions micro-hybrides, preuve que la demande pour les motorisations thermiques efficientes reste forte.
En toile de fond, la concurrence chinoise monte en puissance avec des modèles électriques compétitifs et souvent moins chers. Un contexte qui pousse les constructeurs européens à réclamer plus de flexibilité réglementaire afin de rester compétitifs sur leur propre marché.