Pour contrer la montée en puissance des véhicules électriques chinois, l’Europe envisage des droits de douane drastiques. Une réponse nécessaire pour protéger l’industrie automobile européenne, mais aux conséquences économiques incertaines.
La voiture électrique est devenue un champ de bataille commercial majeur. Les tambours de la guerre commerciale battent en Europe, aux États-Unis et en Chine, ciblant les véhicules électriques. Les fabricants européens et américains ne veulent pas manquer le train de la voiture électrique, mais ils se heurtent à une Chine qui a pris une avance considérable. Si l’Europe veut freiner l’invasion des voitures électriques chinoises, elle devra adopter des mesures drastiques aux conséquences économiques imprévisibles.
En Europe et aux États-Unis, l’invasion des voitures électriques chinoises est une source de préoccupation. Sur le Vieux Continent, les importations de véhicules électriques chinois sont passées de 1,6 milliard de dollars en 2020 à 11,5 milliards en 2023, représentant 37 % des importations de véhicules électriques dans l’Union européenne. Bien que la part de marché des modèles chinois en Europe ait légèrement augmenté à 19 %, la présence des marques chinoises s’est considérablement renforcée. Les entreprises chinoises gagnent rapidement du terrain.
Le constructeur BYD vise 5 % des ventes de véhicules électriques en Europe d’ici 2026 et souhaite figurer parmi les cinq premières entreprises automobiles européennes à moyen terme. Par exemple, la Seal U de BYD se vend 20 500 euros en Chine contre 42 000 euros en Europe, offrant une marge bénéficiaire significative sur le marché européen. Cela souligne le défi auquel la Commission européenne est confrontée pour maintenir les voitures chinoises à distance, à moins d’imposer des droits de douane très élevés, ce qui pourrait provoquer des représailles sur le marché chinois.
Bruxelles prépare déjà un plan tarifaire pour empêcher l’invasion des voitures électriques chinoises. Les experts du groupe Rhodium évoquent des droits de douane immédiats de 15 à 30 % sur le prix d’importation. Toutefois, ces tarifs pourraient ne pas suffire à empêcher les voitures chinoises d’envahir les garages européens. La Chine bénéficie de trois atouts majeurs : des années d’avance dans la construction de batteries, des coûts de main-d’œuvre nettement inférieurs et le soutien inconditionnel de Pékin. Ces avantages créent une compétitivité difficile à surmonter pour les véhicules fabriqués dans les pays développés.
Les analystes de Rhodium expliquent dans un rapport que “la Commission européenne est susceptible d’imposer des droits compensateurs (tarifs) sur les importations de véhicules électriques chinois dans les mois à venir pour éviter que des voitures subventionnées nuisent à l’industrie automobile européenne. Même avec des droits de douane élevés, certains producteurs chinois pourraient encore dégager des marges bénéficiaires confortables grâce à leurs coûts avantageux.”
Si des droits de douane de 30 % rendent les voitures chinoises plus compétitives que les européennes, quel niveau de droits devrait imposer l’Europe ? Des tarifs de 40 à 50 % (voire plus pour des fabricants comme BYD) seraient nécessaires pour rendre le marché européen moins attractif pour les exportateurs chinois de véhicules électriques.
Comme il est peu probable que de tels droits soient imposés, Bruxelles pourrait recourir à des outils non traditionnels pour protéger l’industrie automobile européenne, tels que des restrictions basées sur des critères environnementaux ou de sécurité nationale. Ces mesures protectionnistes indirectes, qualifiées de “nouveau protectionnisme”, incluraient des barrières techniques et des réglementations spécifiques.
En septembre 2023, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a annoncé l’ouverture d’une enquête anti-subventions sur les véhicules électriques chinois, affirmant que le marché mondial est inondé de voitures électriques à bas prix grâce à d’énormes subventions d’État. La Commission doit conclure l’enquête d’ici novembre.
Selon la Commission, il existe des preuves de subventions chinoises préjudiciables à l’industrie européenne, avec des prix de vente souvent 20 % inférieurs à ceux des modèles fabriqués dans l’UE. La Commission peut imposer des droits de douane même si les subventions ne causent pas de préjudice actuel, si elle estime qu’elles nuiront à l’industrie de l’UE à l’avenir.
“Nous nous attendons à une augmentation des droits de douane sur les voitures électriques chinoises à environ 20-25 %”, selon l’équipe de stratèges de Danske Bank dirigée par Allan von Mehren. L’UE applique actuellement des droits de douane de 10 % sur les voitures électriques chinoises, contre 27,5 % aux États-Unis. La Chine impose des droits de 15 à 25 % sur ces voitures importées de l’UE, offrant une marge de manœuvre à l’Europe pour augmenter ses tarifs.
Cette semaine, Joe Biden devrait annoncer une augmentation significative des droits de douane sur les voitures électriques, passant de 27,5 % à 102,5 %, selon des sources anonymes citées par Bloomberg.
En Europe, l’argument de Bruxelles est renforcé par le fait que l’UE considère le secteur des véhicules électriques comme stratégique et vise à réduire sa dépendance à l’égard de la Chine. L’emploi dans le secteur automobile représente 8,5 % de l’emploi manufacturier dans l’UE, mettant en jeu une grande partie de l’industrie traditionnelle européenne.
Danske Bank : “La communication de la Commission laisse également entendre qu’il importe peu que les subventions chinoises nuisent ou non aux entreprises de l’UE. Ce qui compte, c’est de savoir si elles nuisent à l’industrie au sein de l’UE”.
“Le fait que l’industrie automobile de l’UE n’ait pas déposé de plainte officielle peut s’expliquer par le fait que la majorité des véhicules électriques importés de Chine sont fabriqués par des entreprises occidentales comme Tesla et Renault. Les constructeurs européens ont des usines en Chine et veulent éviter des représailles. Si des droits anti-subventions sont imposés, ils devraient entrer en vigueur entre juillet et novembre”, note Andrew Kenningham de Capital Economics.
La Commission européenne s’attend à ce que les ventes de véhicules électriques chinois atteignent 15 % du marché européen d’ici 2025 et craint que cette part augmente si les entreprises chinoises réduisent leurs prix en raison d’une surcapacité et d’une demande intérieure insuffisante.
“La Commission laisse entendre qu’il importe peu que les subventions chinoises nuisent ou non aux entreprises de l’UE, mais plutôt à l’industrie dans son ensemble. Les subventions en Chine augmentent la menace de délocalisation de la production de voitures électriques vers la Chine. Une récente enquête de la Chambre de commerce allemande en Chine montre que 63 % des entreprises automobiles allemandes prévoient d’augmenter leurs investissements en Chine”, conclut le service de recherche de Danske Bank.